Archives Maginot - Une rescapée de béton

 

Hochwald - La casemate C3 du fossé antichar

 

Après avoir vaillamment combattu en 1940 dans certains secteurs quoi qu'on en dise, la Ligne Maginot sort dévastée à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. Quand ils n'ont pas été ravagés par les combats de 1940 puis de 1944, après avoir été pillés puis, en maints endroits, détruits par les Allemands, rares sont les ouvrages qui ne peuvent être considérés en 1945 comme des ruines inutilisables. La page de la Ligne Maginot semble avoir été tournée.

La Guerre froide – Menaces de l'Est

Pourtant, dès l'après-guerre, une menace surgit et grandit avec les années : l'éventualité d'une invasion de l'Europe de l'ouest par les armées russes et l'hégémonie communiste. Dans cette perspective est constituée en Europe et en 1949 avec les Etats-Unis l'Alliance atlantique, organisation de défense commune apte à s'opposer à une attaque venue de l'Est. L'une des positions d'arrêt est alors toujours celle du Rhin. Parmi les armements terrestres de l'époque (artillerie, blindés, infanterie, ...), la fortification conserve toute sa valeur et ses partisans. Dès 1947 de hauts responsables de l'armée évoquent la réutilisation des ouvrages Maginot après réparation et modernisation.

La Ligne Maginot renaît de ses cendres

Le Génie n'avait d'ailleurs pas attendu et entrepris dès 1948 des travaux d'entretien et de rééquipement partiels de certains ouvrages d'artillerie. Après maintes réflexions, propositions et discussions, en 1951 émergent les premières actions concrètes : création de commissions d'étude et de travail, déblocage de premiers et importants crédits pour les années 1951-1952, essais sur les effets de souffle et autres moyens de destruction de l'époque, etc. En 1952 s'ouvrent les premiers chantiers : en Moselle (Bréhain, Rochonvillers, Molvange, môle de Bitche), en Basse-Alsace (Four à chaux, Hochwald, Schoenenbourg).

La casemate C3 du fossé

En Alsace, c'est ainsi que l'ensemble du Hochwald retrouve partiellement en 1956 une seconde jeunesse. Si ses installations souterraines sont réhabilitées, certaines casemates d'artillerie demeureront non restaurées et désarmées #1 Les casemates de 75-29, blocs 6 et 12. , mais la totalité des tourelles à éclipse d'artillerie et d'infanterie seront réparées (en usine) et réactivées. Concernant le fameux fossé antichar chevauchant le massif du même nom et ponctué par 9 casemates d'infanterie #2 Voir dans ce même site l'article "La Ligne Maginot en construction / Le fossé antichar"., toutes détruites par les Allemands en janvier 1945, seule la casemate C3 sera reconstruite et sur le même plan qu'à l'origine. Sa situation proche de la crête du massif à la cote 450 et ses vues exceptionnelles vers l'ouest l'ont désignée pour être le pendant sur le flanc ouest de l'observatoire du bloc 20 tourné vers l'est, lui aussi réactivé.


La casemate C3 sera reconstruite en 1953-1954 (fin des travaux le 10 avril 1954) et remise en état de servir, càd. rééquipée, en avril 1956.

Hochwald plan DTG 1951

Carte de l'ensemble des ouvrages du Hochwald éditée en 1947 par la Direction des travaux du Génie de Strasbourg et incluse dans le carnet d'ouvrage établi en 1951, à la veille des premiers travaux de réhabilitation. (Elle recèle un petit oubli au niveau de la casemate 4 du fossé antichar : une branche de ce fossé – qui n'apparaît pas ici – contourne en effet intégralement la casemate du côté nord assurant ainsi la continuité de l'obstacle. En outre, ne pas tenir compte de l'échelle).


La casemate C3 va donc faire office de dernier témoin intact parmi les 9 casemates du fossé et, cerise sur le gâteau, lors d'une visite en 1980 sera retrouvée presque entièrement équipée comme à l'origine, à l'exception de l'armement et de l'optique. Les plans et photos qui suivent sont donc un témoignage de l'état de l'ouvrage à cette époque.

 

C3 fosse plan a l origine

Extrait du carnet d'ouvrage édité par la DTG en 1951, ce plan reflète l'état de l'ouvrage à l'origine, càd. avant sa destruction en 1945. Il n'y est pas question d'une arme antichar (canon de 37), uniquement de jumelages. Il donne aussi un aperçu de l'équipage de C3, soit environ 17 hommes.


C3 fosse reconstruite

Reconstruite et rééquipée de 1953 à 1956, la casemate C3 a conservé son plan du gros œuvre initial et n'a bénéficié alors que de modifications relativement mineures par rapport à son plan d'origine. Citons :


Etage supérieur

  • porte d'entrée d'origine remplacée par une porte allemande 434P01,
  • cloche GFM bétonnée jusqu'à son sommet et modifiée en cloche périscopique (J2) d'artillerie,
  • chambre de tir : l'un des deux créneaux de jumelage remplacé par un créneau FM.
Etage inférieur
  • chambre de repos nord modifiée en local du groupe électrogène,
  • ventilation modifiée (disparition des filtres),
  • chambre de tir : créneau de projecteur remplacé par un créneau de jumelage.

 

C3 1

Sur cette photo de 1934 on aperçoit la casemate C3 sous camouflage qui vient d'être terminée. Au 1er plan, la casemate C1 (remarquer la sentinelle sur sa droite) et, sur la droite de la photo, on devine les cloches de la C2.


C3 2

Vue de nos jours depuis le fossé, la casemate C3 reconstruite fait toujours bonne figure malgré une végétation envahissante. Les créneaux de jumelages sont invisibles dans l'ombre portée de la visière. L'ouverture verticale surmontée d'un créneau FM de défense rapprochée est celle de l'issue de secours qui débouche dans le fossé. L'étage supérieur est bien visible à l'arrière du sapin.


C3 2a

La façade de tir de l'étage inférieur et ses trois créneaux pour jumelage axés sur le fossé. Le créneau de droite était initialement prévu pour un projecteur. Les trois petites ouvertures sont celles de l'évacuation des étuis (douilles) et, au centre, du lance-grenades (photo AALMA).


C3 3

Naturellement camouflée sous un fouillis végétal, l'entrée de l'ouvrage C3 demeure intacte. La porte d'origine a cependant été remplacée après guerre par une porte blindée allemande 434P01, reliquat inutilisé de la ligne Siegfried ou du Mur de l'Atlantique ! Cette entrée débouche directement sur l'étage supérieur de l'ouvrage.


C3 4

Dans la chambre de tir supérieure, proche de l'entrée, un seul jumelage a été remis en place. Le second a été remplacé par un créneau FM.


C3 5

Curieusement, en plus du jumelage un rail semble avoir été prévu pour un canon antichar de 37 ou 47. Existait-il déjà l'origine ? Aucun document, qu'il soit français ou allemand, ne fait état d'un antichar dans la casemate initiale.


Canons antichars de 37 et 47

Un doute subsiste sur le nombre exact de canons antichars réellement installés à l'origine (en 1940) dans les neuf casemates du fossé. Un état du Génie précisant la " Situation de l'armement à la date du 1er avril 1939 " indique que les casemates 1 et 9 devaient recevoir un canon de 47, les casemates 2, 4, 5 et 7 un canon de 37 (deux pièces dans la casemate 4) mais aucune pièce n'était encore livrée à cette date.

Un document allemand extrait du Denkschrift (1941) fait état de canons antichars existants dans les casemates 1, 2, 5, 6 et 9, sans autre précision. Or en 1987, Pierre Jost, employé civil de l'armée de l'Air qui occupe l'ouvrage du Hochwald, découvre dans les décombres de la casemate 7 un tube de 37, apportant la preuve de l'existence de canons antichars dans la majorité de ces casemates en 1940.

 

C3 6

Gros plan sur l'unique jumelage de la chambre de tir supérieure. En revanche, la chambre de tir inférieure a été dotée après reconstruction de trois jumelages !


C3 7C3 8

L'extrémité de l'étage supérieur se termine par le puits d'accès à la cloche GFM d'origine devenue cloche observatoire après guerre. Le boîtier ouvert sert à l'alimentation du rétroéclairage du périscope J2 de la cloche. On remarque aussi une goulotte lance-grenades sur la gauche et un coffre à cartes et autres documents sur la droite. Enfin le bricolage téléphonique du mur de droite est dû aux derniers occupants de l'ouvrage.

C3 9

À l'extérieur, sur la toiture de la casemate, la cloche ex-GFM a été entièrement bétonnée jusqu'à son faîte où seul demeure le passage d'un périscope J2 d'observation d'artillerie (photo Hervé Weyant).


C3 10

L'escalier qui relie les deux étages de la casemate. Sur la gauche, le local des latrines.


C3 11C3 12

Le groupe électrogène à moteur CLM #3Compagnie Lilloise des Moteurs. et alternateur de 5 KVA #4Des Ateliers d'Orléans., alors en état de marche, et son réservoir journalier. Installé à l'origine dans un couloir voisin, il occupe après la reconstruction l'une des deux chambres de repos. À gauche de l'alternateur est installé le silencieux à eau qui amortit le bruit de l'échappement. Ce groupe est aujourd'hui préservé au bloc 4 du fort de Schoenenbourg.


C3 13

Installations électriques et équipements intacts dans le local du groupe électrogène. On reconnaît un ventilateur secondaire, un transformateur, un réchaud régénérateur de sachets silicagel, divers interrupteurs.


C3 14

La ventilation d'origine a été modifiée et simplifiée. Les filtres à air d'origine ayant disparu et n'ayant pas été réinstallés on ne peut que s'interroger sur le mode de filtration de l'air frais aspiré à une époque – Guerre froide – où la protection NBC (nucléaire, biologique, chimique) était de rigueur.

L'escalier donne accès à l'issue de secours qui débouche dans le fossé. Dans l'angle inférieur gauche, un créneau de pied pour FM défend cette issue.


C3 15

L'issue de secours et un 2e créneau de pied pour FM.


C3 16

Un puits vertical de quelques mètres constitue cette issue de secours.


C3 17

Deux des trois affûts de jumelage de la chambre de tir inférieure. Entre les deux, demeure en place un lance-grenade sur sa goulotte.


C3 18

Une niche de la chambre de tir inférieure, prévue à l'origine pour un projecteur, a été dotée après guerre d'un 3e jumelage.


C3 19

Une seule des deux chambres de repos pour 8 hommes a été conservée.


NB. L'auteur s'excuse pour la qualité des photos argentiques de 1980 qui ont mal vieilli.

Aujourd'hui
La casemate C3 du fossé existe toujours et demeure accessible. Elle a été en grande partie vidée de ses équipements par les associations locales dans un but de sauvegarde. Dernier témoin en dur de l'extraordinaire réalisation qu'a été le fossé antichar et antipersonnel du Hochwald et ses neuf casemates d'infanterie, cet ouvrage mériterait un effort de mise en valeur, ne serait-ce qu'en le débarrassant de son fouillis végétal pour le plus grand bonheur des photographes.

Droits de reproduction réservés.

Remerciements
     AALMA, Andreas Boy, Jean-Michel Jolas, Frédéric Lisch, David Ory, Bertrand Pfaff, Hervé Weyant.